"Mon Logement, Ma Vie" Episode 19
Dans "Mon Logement, Ma Vie", les seniors ont la parole ! Dans cet épisode, rencontre avec Christiane, 83 ans. Elle vit dans un appartement dans le XVIème arrondissement de Paris avec son mari.
Dans "Mon Logement, Ma Vie", les seniors ont la parole ! Dans cet épisode, rencontre avec Christiane, 83 ans. Elle vit dans un appartement dans le XVIème arrondissement de Paris avec son mari.
Journaliste : Bonjour Christiane. Comment vivez-vous cette période pas comme les autres ?
Christiane : Bah, écoutez, comment on la vit ? J’imagine comme beaucoup beaucoup de gens. Disons que nous continuons à être confinés. Mais moi, ce que j’aimerais, c’est que les gens soient raisonnables et qu’ils savent ce que c’est un confinement, parce que quand je vois les gens se promener dans la rue, à droite à gauche, sortir sans masque sans rien, les uns à côté des autres, je me dis « Mince, nous, on est à la maison. On est confinés. On ne bouge pas. » Mais ça va durer comme ça combien de temps les gens comme ça dehors ? Ça m’exaspère.
Journaliste : Une journée type confinement chez vous, ça ressemble à quoi du matin, midi jusqu’au soir ?
Christiane : Une journée type, disons qu’on se lève à 8h. On prend le petit-déjeuner. Ensuite, on fait la toilette. Bon, j’attends que mon mari soit bien installé, parce qu’il y a l’orthophoniste qui lui donne des cours un jour sur deux. Ensuite, je vais faire les courses à proximité de notre domicile. Je mets 1heure – 1heure et quart comme il y a la queue un peu partout… Ensuite, je rentre. Je déballe toutes mes affaires. Je me lave bien les mains. Je fais très attention. J’essuie tout. Je mets de l’alcool partout, de l’eau de javel partout. Ensuite, je prépare la popote. Ensuite, on déjeune. Nous faisons la vaisselle. Il fait une petite sieste. Après, on joue au Scrabble. Puis après, on regarde un peu la télévision. Puis, je lis. Voilà le quotidien journalier.
Journaliste : Est-ce que vous avez découvert d’autres loisirs dans le cadre de ce confinement ? Des choses que vous faites maintenant et que vous ne faisiez pas auparavant ?
Christiane : Disons qu’on joue beaucoup plus au Scrabble maintenant qu’on jouait, parce qu’avant on sortait quand même. Il y avait le kiné qui le prenait deux fois par semaine, l’orthophoniste deux fois par semaine. J’avais quelqu’un qui me le promenait un petit peu. Ça me permettait d’aller faire une petite escapade dans les grands magasins. Vous comprenez. Notre vie a changé. C’est obligé ! Malheureusement, je crois que ça n’ira pas en s’améliorant compte tenu du grand rouge qu’on retrouve partout à l’heure actuelle.
Journaliste : Vous êtes en appartement, c’est ça ?
Christiane : Oui, on est en appartement. Nous avons vécu dans le sud pendant 18 ans. Nous sommes revenus sur Paris quand mon mari a eu son Parkinson.
Journaliste : Vous êtes dans un bel arrondissement de Paris.
Christiane : Un bel arrondissement, mais dans un plus petit appartement que celui que nous avions quand nous habitions le sud.
Journaliste : Du coup, est-ce que ce confinement n’est pas plus compliqué à vivre du fait d’être dans un appartement et non dans une maison avec plus d’espace ?
Christiane : Non. Ça ne me gêne pas trop, parce que vous savez, toute ma jeunesse – parce que mon mari est un ancien militaire de carrière -, j’étais beaucoup plus jeune quand avec mes parents nous avons vécu en appartement et en pavillon, et en banlieue. Et la banlieue m’a un peu étouffée. Donc, j’ai préféré habiter Paris. Arrivée notre retraite, nous sommes partis dans le sud en se disant en se disant « là-bas, ce sera merveilleux. On aura du soleil tout le temps. Ce sera très bien ». Oui, c’est ce que nous avons vécu pendant un certain nombre d’années. Puis, quand, il y a 5 ans, on a appris son Parkinson, compte tenu que ce n’était pas quelque chose de très violent, on a continué encore à vivre notre petite vie tranquille. Il pouvait encore conduire. Tout allait très bien. En avançant un petit peu, de plus en plus, le neurologue nous a dit « maintenant, il faut faire attention. Il ne faut plus conduire. » Alors là, je lui ai dit « qu’est-ce qu’on fait ? » parce que si on ne peut plus conduire, on ne va pas être tributaire d’un beau-frère qui est encore resté là-bas. Parce qu’il a le même âge que nous. On vieillit tous les trois pareillement. J’ai perdu ma sœur il y a 2 ans. Donc, je lui ai dit « écoute, puisque l’appartement à Paris on n’en fait rien - on venait là des fois dans l’année – parce que moi, je suis vraiment une parisienne. Il m’a dit oui. Donc, il a fallu vendre tous les meubles, vendre l’appartement et la voiture, puis revenir sur Paris. Là, j’ai un appartement qui ne fait que 50m² alors qu’on avait quand même un 180m².
Journaliste : ça arrive souvent. Dès qu’on vient à la capitale, il faut diviser par deux la surface et multiplier par deux le prix.
Christiane : Tout à fait. Celui-là, il était vide. On payait les charges. On le prêtait un peu à la famille. Quand ils venaient passer un week-end, ou même un long week-end, on leur donne les clés. Et puis, ils venaient. L’essentiel est qu’ils laissaient la maison aussi propre que quand ils rentraient dedans. Là-dessus, il n’y avait rien à craindre. Tout se passait très bien. Bon maintenant qu’on est revenus, on a une nouvelle vie. Qu’est-ce que vous voulez ? On arrive à un âge où on n’espère plus faire des longues années même si on a des enfants et des petits-enfants.
Journaliste : Justement, quand vous me parlez de vos enfants et petits-enfants, comment est-ce que vous faites pour communiquer avec eux ?
Christiane : Les choses sont les suivantes. Ma fille l’a attrapé malheureusement. Elle est confinée chez elle. Je téléphone tous les jours pour prendre des nouvelles de ma fille, et puis de mon gendre, parce qu’il a perdu son papa il y a un mois pile aujourd’hui. Puis, mon fils, c’est lui qui nous appelle tous les deux jours. Parce que lui, il a toujours travaillé depuis le virus. Mes enfants et les petits-enfants, de Bretagne et du Luxembourg, nous appellent. Ça se passe comme ça.
Journaliste : Votre fille, elle va bien ?
Christiane : Elle a été deux jours très prise à la poitrine. Ils l’ont renvoyée chez elle en disant « écoutez maintenant, continuez à être confinée. Eloignez-vous de votre mari et de votre fils tant que vous êtes à la maison. Prenez du paracétamol. Et tous les deux jours, on vous appellera. C’est ce qu’ils font.
Journaliste : J’imagine. En plus, vous deviez être inquiète bien évidemment.
Christiane : Oui, parce qu’on est bloqués là. Je pourrais l’aider. Je pourrais faire quelque chose. Malheureusement, je ne vais pas aller au bord d’une catastrophe. Je ne tiens pas à attraper quelque chose, puis il y a mon mari qui, lui, ne s’en sortira pas.
Journaliste : C’est vrai que ce sont des situations qui sont compliquées à gérer.
Christiane : Très compliqué. On attendra le temps qu’il faudra, parce qu’on n’ira pas au bord d’une catastrophe aussi bien pour nous que pour eux. Mais, on a un petit poussin qui a 7 mois. On le voit en photo. C’est tout. Notre petit-fils nous envoie des photos régulièrement, tous les deux jours. Ça remplit le smartphone. Ça nous fait plaisir de le voir. Mais, je préfèrerai l’avoir dans mes bras un petit peu quand même.
Journaliste : Evidemment. Qu’est-ce qui est le plus compliqué finalement en cette période de confinement ? C’est cela ? C’est l’absence des proches ?
Christiane : Oui. C’est cela. C’est très important. La famille est très importante. Vous savez à nos âges, c’est normal. Qu’est-ce qui nous reste si on n’a pas de joie avec la famille ? On n’a rien d’autre à ce moment-là. Quand on n’a pas d’enfant ou qu’on n’a pas de petits-enfants, on voit ceux des autres. Quand on en a, on tient quand même encore à faire des réunions de famille, à se voir le plus possible. Parce que quand l’absence est là, après ce n’est plus la même chose. Ce n’est pas au cimetière en allant voir les gens que ça vous les ramène.
Journaliste : On est bien d’accord. Dans cette période de confinement, vous m’en aviez parlé tout à l’heure rapidement, pour vos courses comment vous vous organisez ?
Christiane : Pour mes courses, je vais au plus près. En face de l’immeuble, on a tous les commerçants. Alors, je traverse et puis là je vais faire mes courses. Effectivement, je n’ai pas besoin de vous dire que je ne suis pas la seule. Même si je pars à 9h du matin, il y a déjà du monde chez les commerçants qui font la queue.
Journaliste : Et qui respectent quand même la distance de sécurité ?
Christiane : Oui, oui. Les masques et la distance. Ça, j’y tiens, parce que comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je veux bien être confinée encore un certain moment. Mais que tout le monde respecte comme moi je respecte la distanciation, et surtout le masque. Et ne pas tousser comme ça à côté des gens ou éternuer, on va très loin, même si on est masqué, parce que je fais attention. Tous les jours, je pars avec un masque.
Journaliste : Ce sont des masques que vous avez faits vous-même ?
Christiane : Non, j’ai des masques que des voisins nous ont passés, parce qu’on est dans une copropriété où on est assez bien entourés. On a des voisins qui nous en ont passés. On a essayé de le garder le moins longtemps possible, mais on n’avait rien d’autre. Il fallait bien que je sorte avec ce masque-là. Après, notre fille du Luxembourg nous en a fait parvenir une dizaine à chacun.
Journaliste : Est-ce que la promiscuité permanente avec votre époux, 24h/24, n’est pas trop dure à gérer tout le temps du confinement ?
Christiane : Si, un petit peu quand même, parce que comme je vous ai dit tout à l’heure avec son Parkinson. Il y a aussi ce problème de mémoire. Souvent, il faut répéter les choses. Là, pendant deux jours, on avait un problème d’ordinateur. Notre petit-fils a essayé de venir masqué et tout pour voir ce qui s’est passé. Subitement, notre ordinateur s’est mis en route.
Journaliste : Ce sont des petits tracas qu’il faut régler, quoi !
Christiane : Voilà.
Journaliste : Vous pensez un petit peu à l’après confinement ?
Christiane : Oui. Je l’attends avec impatience, mais je redoute en même temps. Je redoute, car les gens sont tellement capables de se dire « On va pouvoir re-sortir », « On va pouvoir faire ça »… Non, non. Il va falloir continuer à garder les masques et à avoir de la distance.
Journaliste : Puis, vous dites finalement qu’il y a eu un avant et il y aura un après ?
Christiane : Oui. Tout le monde dit, quand on écoute les chaînes de télévision, les uns comme les autres, tel professeur ou tel docteur, qu’il y aura peut-être une deuxième vague. Oui, il y aura une deuxième vague si les gens ne sont pas raisonnables. C’est certain. Mais si les gens sont tous raisonnables, on va quand même s’en sortir. Nous, on a connu la guerre. On a été bien jeune. N’empêche que je sais ce que c’était. Je m’en rappelle quand même très bien. Ma pauvre maman allait faire les courses. Elle attend comme moi aujourd’hui. Puis arrivé à son tour, il n’y avait rien. Mais là, c’était la guerre. Ce n’était pas pareil.
Journaliste : En plus, en temps de guerre, il n’y avait pas le confinement.
Christiane : Non. Il n’y avait pas de confinement. Les gens faisaient la queue pour avoir des tickets. Maman faisait la queue pour essayer d’avoir un morceau de viande comme je vous dis. Quand elle arrive à son tour, il n’y en avait pas. Bon, on s’arrangeait à trouver quelque chose pour nous nourrir. On était quand même deux enfants à la maison. Il fallait quand même nous nourrir. Je veux dire par là qu’il n’y avait pas le confinement. Mais écoutez, depuis la guerre de 39-40, on s’est quand même bien remis de tout un tas de choses. Et les gens sont heureux. Les gens ont plein de choses. Moi, j’ai pas connu Noël quand j’étais gosse. Il y a bien de choses que je n’ai pas connu. Aujourd’hui, j’ai la possibilité … Je n’ai pas connu les tablettes de chocolat. Aujourd’hui, j’en ai à la pelle. Ce n’est pas pour ça que je me gave de chocolat pour peu qu’on l’avait. Il fallait faire des pains perdus avec des petits grains de raisins dedans. Mais pour nous, c’était la joie d’avoir ces gâteaux-là à table. Aujourd’hui, on ne se gave pas de gâteau, parce qu’il y a l’opulence. Vous comprenez ? Alors, les gens sont perdus parce qu’ils ont une belle vie, des Noëls incroyables, des cadeaux à ne plus savoir quoi faire. Aujourd’hui, on a tout, mais quand il arrive des gros pépins comme ça, il faut savoir gérer, Monsieur.
Journaliste : Est-ce que quelque part, vous pensez aussi peut-être que ça va être un mal pour un bien ?
Christiane : Peut-être que ça va apprendre la vie aux gens. Je le souhaite.
Journaliste : Quelles sont les premières choses que vous ferez en premier ?
Christiane : En premier, si tout va pour le mieux, je vais aller voir mes enfants et mes petits-enfants. C’est indispensable. Aujourd’hui, si on n’a pas de cinéma, de théâtre, on ne va pas en mourir. On va faire avec, c’est tout. Parfois, il y a des films qui ne sont pas trop moches à la télévision. Ils ne se renouvellent pas très souvent. Mais enfin, quoi faire ! L’essentiel, c’est d’avoir la santé pour mon mari et puis pour moi, puis de pouvoir voir nos enfants le plus rapidement possible. Ce sera la chose qu’on fera en premier.
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Témoignages recueillis par Jean-Baptiste Vennin