Quels internautes sont les seniors ? - interview d’Eric Doyen
Interview d'Eric Doyen
Directeur de l'agence ID Interactive
Indépendance Royale : Qui sont ces seniors qui naviguent sur le web ?
Eric Doyen : On peut parler des jeunes seniors et des baby-boomers, ils sont de plus en plus nombreux sur le web, environ 10 000 000 personnes, ce qui correspond à un quart d’internautes. Et ce chiffre augmente car les outils web sont de plus en plus simples d’utilisation, donc de plus en plus accessibles aux seniors. Les personnes du « quatrième » âge, celles qui ont plus de 80 ans, sont moins réceptives à l’internet, même s’il y a des cas marginaux. Le réseau est arrivé vers la fin des années 90, toute une génération n’a pas eu le temps de s’y habituer.
Puis, l’utilisation de l’internet est un phénomène social, c’est un outil de communication ; or, si peu de gens de votre entourage s’en servent, votre utilisation en sera restreinte aussi. Il n’y a pas beaucoup de tablettes dans les maisons de retraites !
IR : On utilise de plus en plus des tablettes et des smartphones, souvent au détriment des ordinateurs. Est-ce également le cas des seniors ?
ED : Oui, la multiplication des matériels a touché toutes les générations, les taux d’équipement montent régulièrement en France, quelle que soit la tranche d’âge. Il ne faut pas oublier que les smartphones sont un bon outil de consultation, alors que les ordinateurs sont de plus en plus un simple outil de travail. Il n’y a donc pas eu de substitution d’appareils par d’autres, mais une mise en place progressive d’utilisations complémentaires. Les retraités utilisent les nouveaux équipements avec beaucoup d’aisance. Plus ils sont dynamiques dans l’acte de consultation, plus ils utilisent des tablettes, par exemple, pour lire les actualités, trouver une information ou aller sur un site marchand.
On voit d’énormes variations des ratios d’utilisation des équipements d’un site à l’autre. Plus il est général et grand public, plus les seniors se comportent de façon homogène par rapport à la population française.
IR : Justement, quels sont les sites qui attirent les seniors ?
ED : C’est étroitement lié à leurs centres d’intérêt : ils lisent les actualités, regardent les sites de voyage – on sait que les seniors voyagent plus que les autres car leur pouvoir d’achat est plus élevé – et consultent régulièrement des sites de jardinage, car c’est traditionnellement un des passe-temps favoris des retraités. Ils consultent aussi la météo plus que les jeunes car, disposant de temps, ils doivent se renseigner pour connaître le temps qu’il fera pendant leurs activités. Par exemple, je vois très rarement mes enfants consulter la météo. C’est vrai aussi des sites de cuisine, en fait on retrouve dans la pratique d’internet les hobbies des seniors dans la vie réelle. Dans le sens inverse, certaines activités, comme le téléchargement de films, sont davantage pratiquées par les jeunes, alors que les seniors privilégient les offres légales. Ils préfèrent les chemins balisés… Les seniors constituent une clientèle très importante des sites d’e-commerce, 40% environ. Ça permet d’éviter l’expérience parfois désagréable d’une zone commerciale bondée et c’est très pratique en cas de mobilité réduite.
Par exemple, en Allemagne, on a mis en place le procédé suivant : la personne commande plusieurs articles sur internet, en principe des vêtements, les reçoit par la poste et choisit ceux qu’elle veut acheter. Elle ne paye que ce qu’elle garde et le reste est renvoyé gratuitement. Ce modèle, qui ne devrait pas tarder à arriver en France, fonctionne mieux dans les pays de l’Europe du nord que dans les pays latins, car il est étroitement lié à la mentalité.
IR : Quel genre de difficultés une personne âgée peut-elle rencontrer sur internet ?
ED : Tout d’abord, les outils qui permettent d’accéder à l’internet évoluent en permanence, l’innovation est au cœur de ce domaine. De ce fait, les seniors qui ont du mal à mettre à jour leurs logiciels ou le navigateur se retrouvent en difficulté.
Un autre écueil est lié à la clarté de l’organisation de la page web. Il est fondamental d’avoir un menu unique, qui regroupe toutes les rubriques du site. Il faut éviter la multiplication des animations, elles ne créent pas de valeur ajoutée pour les seniors, qui les ressentent comme un environnement déstabilisant. Certains éléments de navigation sont moins clairs pour les seniors que pour les jeunes, par exemple le « burger menu », c’est-à-dire le menu de site en forme de 3 traits parallèles. Il faut identifier ce signe, comprendre qu’il s’agit d’un menu
D’autres difficultés sont liées aux transactions sur le web. Aujourd’hui, la personne qui achète en ligne est doit souvent rentrer un code de sa banque reçu par sms. Or, ce double niveau de protection crée un obstacle si, par exemple, la personne a oublié de mettre à jour son numéro.
IR : Existe-t-il des solutions sur le web adaptées à certaines pathologies liées à l’âge ?
ED : Oui, il existe des solutions qui permettent d’adapter l’environnement numérique à certains problèmes de santé, mais elles sont minoritaires. Par exemple, les personnes qui voient mal peuvent agrandir le texte sur certains sites ; pour ce faire, il suffit d’appuyer sur un bouton présentant la lettre « T », parfois placé en haut du texte. Il existe également des tablettes simplifiées et adaptées à l’utilisation par des personnes très âgées, mais elles restent dans une catégorie de matériel spécifique, c’est différent de la véritable navigation.
IR : Finalement, les seniors sont-ils vraiment différents des autres internautes ?
ED : Non, dans ce domaine ils apprennent vite, parfois plus vite que les jeunes. N’oublions pas qu’ils utilisaient l’interactivité depuis longtemps, l’internet n’a même pas été une révolution pour nombre d’entre eux. Certains se servaient déjà du Minitel dès les années 1980 pour réserver leurs billets de train ou rechercher un numéro de téléphone.