Vieillir, c'est vivre - Entretien avec Mélissa-Asli Petit
Entretien avec Mélissa-Asli Petit, docteure en sociologie du vieillissement, dirigeante de Mixing Générations
Indépendance Royale : Qu’est-ce qu’être vieux selon vous ?
Mélissa-Asli Petit : On a tendance à globaliser mais il y a des vieux, des vieilles et des vieillesses, des temps différents et des situations multiples en fonction de l’âge. L’âge de la retraite à 60 ou 65 ans, c’est une ouverture, une liberté retrouvée pour beaucoup de jeunes retraités, à 95 ans on atteint une vulnérabilité, le monde se resserre. Il faut considérer plusieurs prismes : les modes de vie, le lieu de vie, le montant de la pension de retraite...Il n’y a pas forcément de similitude entre tous les seniors donc en sociologie la définition est plus complexe que s’agissant du seul facteur biologique. Mais ce que je peux affirmer, c’est que vieillir est une expérience et une richesse qu’on camoufle souvent. Vieillir, c’est vivre et puis ça commence dès la naissance.
D’autre part, quand on parle de vieillesse au niveau médiatique et politique, on focalise principalement sur le grand âge avec tout ce que cela comporte de pertes. Or, on ne parle pas du rôle d’acteur que peut endosser la personne très âgée. La société développe beaucoup de stéréotypes à propos de la vieillesse et notamment de son supposé pouvoir d’achat tout comme de son inutilité sociale.
IR : Justement d’où viennent ces clichés ?
M.-A. P : Il me semble que le point de départ remonte aux années 70/80 lorsque beaucoup d’actifs sont partis en pré-retraite vers 55 ans. Les politiques publiques engagées à cette époque ont renforcé cette perception d’une inutilité face à l’emploi et à la société. De plus avec 25 ou 30 ans de vie devant lui, le retraité fait figure de nanti en percevant une pension. Cette vision est décorrélée de la réalité car le passage à la retraite implique une baisse sensible des revenus. C’est d’autant plus vrai pour les femmes, car la retraite renforce les inégalités. On constate en moyenne 40 % d’écart avec les hommes.
IR : La situation des femmes âgées est donc différente ?
M.-A. P : Un certain nombre de femmes âgées sont dans la précarité. Une étude internationale parue en 2021 dans The Lancet démontre que les politiques publiques mises en place dans les domaines clés du vieillissement de la société favorisent davantage les hommes que les femmes. Les femmes vivent plus longtemps mais souvent en plus mauvaise santé et sont plus exposées aux pathologies chroniques. Elles sont moins suivies et aidées par les politiques publiques. D’où l’importance d’avoir une attention particulière sur les conséquences des inégalités de genre et de prendre en compte l’implication des femmes dans le travail non marchand, et notamment du « care », ce prendre soin. Tout ceci doit être pensé par la société.
IR : Comment remédier à ces problématiques ?
M.-A. P : Ce qui peut faire changer les mentalités, c’est l’inclusion aussi bien dans l’espace public que dans la vie quotidienne. Il n’y a pas de prise en charge globale de la part des politiques publiques, pas de transversalité non plus. Or, il faut repenser les choses en termes de parcours de vie, et surtout écouter la demande et non pas créer de faux besoins. C’est un des points qui m’a conduit à lancer Mixing Générations pour mettre en mouvement la sociologie du vieillissement dans la société. L’État doit être plus courageux sur ces questions et les collectivités territoriales également. Pour cela, l’intergénérationnel est aussi l’une des solutions. Par exemple, dans l’espace public des aménagements peuvent être réfléchis pour différents types d’usagers : seniors, enfants, personnes à mobilité réduite...dans l’adaptation du logement c’est pareil. Il y a des convergences à inventer dans ces domaines.
IR : Avez-vous des craintes pour l’avenir des seniors ?
M.-A. P : J’ai quelques inquiétudes par rapport au chômage des seniors et à l’impact de celui-ci sur le niveau des pensions de retraite à venir. Le système de protection sociale est complexe et je redoute la hausse de la précarité. En parallèle, il y a la question de l’accompagnement du grand âge mené, en plus des professionnels, par des aidants, souvent quinquagénaires. On estime qu’un actif sur quatre sera un aidant familial en 2030. Cela implique une réflexion de fond. Cela étant, la génération des boomers a de nouvelles aspirations et fera peut-être bouger les lignes. Le vieillissement c’est aussi une responsabilité individuelle. On peut agir, on peut anticiper et prendre le temps de la réflexion pour choisir l’orientation à donner à sa vie.
À propos de
Mélissa-Asli Petit a créé en 2015 un bureau d’études dédié aux habitudes et comportements des seniors. Mixing Générations conseille et accompagne les entreprises et les sensibilise aux effets du vieillissement. En parallèle, Mélissa-Asli Petit a lancé en début d’année un podcast sur le thème de la transmission entre générations intitulé également Mixing Générations. La transmission, c’est d’ailleurs le point de départ de son appétence pour la sociologie du vieillissement ayant grandi entre une mère, une grand-mère et une tante, femmes courageuses et encourageantes. Elle a publié en 2016 « Les retraités : cette richesse pour la France » (Harmattan).